Taj Mahal Mafia – The New Album

Un Mahadev monumental

« Les chauves-souris volaient bas avec une sorte d’arrogance dans la façon de prendre les virages, les pans du casque relevés et des sourires géants sous leurs nez plats, béants. A l’époque de la grande Peste on voyait ce même air radieux chez les rats (Boccace, Décaméron, chap.1, 1353). Je téléfarnientais pendant que les voisins bourdonnaient au télétravail et, pour affuter mon esprit, je dérouillais un sabre japonais de la WWII, une lame achetée à Berkeley (province Californie d’internet) que je polissais avec un papier de verre chinois acheté à Longquan (province Zhejiang d’internet), un œil sur la webcam du volcan Fagradalsfjall (province Islandaise d’internet).  »

English & German Translation

« Je pensais : Nous sommes devenus des cyborgs mi humains mi machines et nos yeux vont maintenant jusqu’au fond du cosmos chercher leurs origines… et je songeais à Mars : pour dérouiller Mars il faudrait passablement de phlogistique, autrement dit des électrons, et la rouille deviendrait métal brillant, sonnant, trébuchant, et Mars deviendrait un beau miroir bien poli. Et je frottais l’acier, songeant aux disques de platine de l’ancien temps, élégants objets d’exposition pour loft, et je frottais encore, pensant aux nouveaux médias, leurs royalties en forme d’arachides, excellentes pour l’apéro des enterrements ; et c’est dans cet instant de méditation à l’abri des postillons intempestifs, contaminateurs, que l’écran du monde extérieur me signale une cyberattaque !  »

Cometo ! je le croyais animateur du Ghost festival, l’événement fantôme qui n’avait jamais eu lieu où Cometo n’avait même pas chanté the Sound of Silence devant des oreilles absentes qui n’étaient pas venues à la soirée abstraction annulée, par la force des choses. Et pas de cybermonnaie sur moi ! pauvre cyborg… et Cometo, pour m’aider, me laisse cet avertissement : « Si jamais, ne pense pas que c’est ta stéréo qui déconne. » Le Mahadev en personne ! Inutile de refuser pour raison sanitaire…

A mon tour ainsi, en commentaire, d’avertir l’auditeur : Taj Mahal Mafia contient du matériel pour cyborgs, surtout pour cyborgs évolués, futurs… sauf si on prend de l’avance, portés vers cette planète nouvelle (la nôtre, dans un siècle), parce que Cometo, par son véhicule à cordes incompréhensiblement accordé, s’y trouve déjà : ses bras, ses yeux, ses oreilles sont plus nombreux, plus longs, plus grands que les nôtres, il entend ce que nous entendrons, il voit ce que nous verrons, il fume ce que nous fumerons… ses conclusions pour le présent sont déjà faites, et je peux les adopter : je fais résonner Taj Mahal Mafia dans ma caverne pour encourager les télétravailleurs du quartier et je recouvre mes murs d’une couche d’ondes sonores pour qu’elles y restent en vibration et me téléportent sur cette île acoustique du pirate Cometo…

…où les tablas jouent plus vite que Zakir Hussain, où les sitars construisent des machines suivant les plans fixés par l’âme de Tinguely téléchargée d’une plateforme céleste, où les mantras sont chantés par des gourous errants à dix têtes, où les drones ioniques versent des épices thérapeutiques sur des hippies digitaux soufflant dans des flûtes au lithium… où les dieux ont fusionné en un seul, où Cometo, après avoir soudé Orient et Occident au moyen du sitar devenu instrument de couture, voyageant en navette comme un tapissier, entend Beethoven à l’envers et questionne les grandes musiques illustrant les massacres du passé, où l’on entend ce que les Floyds n’ont pas montré : les ficelles indoues dans la trame de leurs ragas blues psychédéliques, où le Mahadev devient le Brian Eno de la musique industrielle, avec la galaxie à la place de la lune…

Puis vient la nuit et l’on fait la fête et le lendemain on se retrouve sur cette île… …où des chasseresses mogholes barbues percent des gazelles aux yeux larmoyant en miniature, où le dôme du Taj devient une perle géante de laitance divine reflétée dans l’ivoire d’un bassin, bulle de marbre au bout de la canne d’un verrier chtonien, où l’intelligence artificielle panse les blessures des polisseurs de sabre, où les cobras s’enroulent en roue avec un bruit de caresse pour méditer sur l’immensité du monde, où parfois la lenteur que rien ne presse tient en laisse une vitesse que tout agite, où l’humour est une affaire sérieuse et le sérieux une plaisanterie, où le Mahadev interprète l’inquiétant « Rien ne pourra m’empêcher de jouer du sitar », où le phlogistique redevient cet esprit du feu qui régénère le Métal, où la mélancolie est un bruit de criquet près de Kheria, derrière le temple de Baba Lal Singh (province Agra d’internet), où se trouvait vraiment le Mahadev, pour un concert apéritif de sitar tout à fait classique, un peu comme dans la banlieue de Givisiez ou de Castelo Branco, avec lassi et peanuts, au milieu de nulle part, parce qu’il est partout, c’est évident, et plus je l’écoute plus je m’émerveille.

En ponçant encore le sabre dérouillé pour qu’il devienne aussi un miroir, je frotte au micromètre, et cette idée me vient d’une mille et deuxième nuit où, polissant un sabre dans une histoire, apparaît un génie, tout comme le Mahadev m’apparut dans cette nuit de la pandémie, fondant une maison de disque et levant un cercle brillant, cométaire : un de ses vinyls réincarnés… et si vous êtes arrivés jusque-là, un conseil : achetez, écoutez ce Taj Mahal Mafia, et faites un vœu.

Om Namah Shivaya
TG, Brig, juin 2021

English & German Translation

«Un Mahadev monumental» by Thierry Genoud, 2021.

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